Martin Bravo
qu'est ce qui t'a mis sur la piste?
La présence européenne en Afrique du Sud est associée aux dérives de l’apartheid. Le rêve d’une vie meilleure était pourtant à l’origine de cette arrivée, symbolisée par le Voortrekker Monument.
Impossible de manquer ce bâtiment massif trônant sur une colline à l’entrée Sud de Pretoria (province du Gauteng). Cube de 41 mètres de hauteur, 41 mètres de longueur et de largeur, le Voortrekker Monument domine la capitale administrative du pays et met en lumière l’histoire tourmentée des colons néerlandophones.
Devenu au siècle dernier l’un des emblèmes de la toute puissance d’une minorité blanche sur une majorité noire opprimée, ce bâtiment de granit brun se veut pourtant le symbole de la liberté et des sacrifices consentis par les pionniers boers dans leur quête d’une vie meilleure.
A partir de 1835, ces derniers, insatisfaits du comportement des autorités britanniques, quittèrent en effet la colonie du Cap pour tenter de s’établir à l’intérieur des terres d’Afrique du Sud, réputées très fertiles. Incités par l’une de leurs grandes figures, Piet Relief, à trouver de nouvelles zones pour s’y installer, les Boers entamèrent après 1837 leur grande migration. Celle-ci se fit par vagues successives de centaines de familles (on estime que plus de 15 000 personnes abandonnèrent le Cap en 5 ans) et fut baptisée le « Grand Trek ».
Mais les Boers payèrent leur départ au prix fort. Persécutés par les Anglais, ils durent aussi faire face aux menaces des tribus Zoulous et Ndebeles. L’épisode le plus marquant fut le massacre de Piet Relief et de ceux qui l’accompagnaient par la troupe du roi zoulou Dingane en février 1838, avant que les Boers ne se vengent dans un combat sanglant en décembre de la même année, lors de la bataille de Blood River (la rivière de sang).
Après bien des tourments, le Grand Trek finit par aboutir à la création des républiques boers du Transvaal et de l’État libre d’Orange, reconnues en 1852 par les Britanniques.
Dès lors, les descendants des pionniers néerlandophones développèrent l’idée de bâtir un monument en l’honneur des Voortrekkers et de leur sacrifice au nom de la liberté. C’est finalement Paul Kruger (initiateur de la réserve naturelle qui porte toujours son nom, « Kruger Park »), devenu président de la république sud-africaine du Transvaal, qui en lança le chantier à l’occasion du 50e anniversaire de la bataille de Blood River le 16 décembre 1888.
Les travaux ne débutèrent pourtant que quatre décennies plus tard, à savoir le 13 juillet 1937 sur une colline dominant la capitale et baptisée « Monument Hill ». Près d’un an et demi plus tard et cent ans après le massacre de Blood River, le 16 décembre 1938, les pierres de soutien des quatre angles du monument furent déposées par trois descendants des chefs voortrekkers : la petite fille d’Andries Pretorius (fondateur de Pretoria), l’arrière-petite-fille d’Hendrik Potgieter et l’arrière-petite-fille de Piet Retief, en présence d’environ 250 000 personnes.
Pharaonique, le chantier dura plus de dix ans, sous la houlette de l’architecte sud-africain Gerard Moerdijk, qui dessina les plans du monument en s’inspirant du Dôme des Invalides à Paris. Figures emblématiques du « Grand Trek », quatre statues situées aux coins du monument représentent Piet Retief, Andries Pretorius, Hendrik Potgieter et le Voortrekker inconnu, formant ainsi une « garde d’honneur symbolique » de l’héritage boer. A côté de l’entrée, une statue de femme et d’enfants symbolise le christianisme et la culture que les femmes maintinrent durant tout le « Grand Trek ». A proximité, les gnous représentent les troupes du roi zoulou Dingane.
A l’intérieur du monument, une frise continue en marbre (la plus grande au monde) orne les quatre murs et retrace l’épopée des Voortrekkers. Longue de 92 mètres, haute de près de 2,5 mètres et d’un poids de 180 tonnes, elle se veut extrêmement figurative et n’oublie aucun épisode de cette aventure entre espoirs, désillusions et persévérance.
Dans la crypte située au cœur du bâtiment, un cénotaphe en granit rend hommage aux pionniers morts lors de ce long voyage vers le cœur de l’Afrique du Sud. Sur celui-ci, l’inscription « Nous, pour toi Afrique du Sud » (Ons vir you Suid-Afrika) est révélée par la lumière du soleil chaque 16 décembre, grâce à un orifice au sommet du monument. Ce rayon est censé représenter la grâce que Dieu répandit sur le travail et les espoirs des Voortrekkers.
A l’extérieur du bâtiment, une autre fresque entoure le site. Il s’agit d’un cercle de 64 chars à bœufs (aussi appelé « laager », protégeant symboliquement le monument, comme le firent les chariots des Boers lors de la bataille qui met en échec Dingane et causa la mort de plus de 5000 Zoulous.
Inauguré le 16 décembre 1949 en présence de tous les membres du gouvernement sud-africain, le « Voortrekker Monument » reste encore aujourd’hui le site emblématique de l’héritage afrikaner. Un symbole également de la colonisation et de la suprématie blanche, mais qui n’en a pas moins été inscrit en mars 2012 au patrimoine national sud-africain.
Depuis sa construction, le monument a été accompagné par la réalisation d’un amphithéâtre de 20 000 places, ainsi que par un musée retraçant la vie des paysans boers ayant entrepris le « Grand Trek ». En 1992, un périmètre de 3,41 km2 autour du bâtiment avait par ailleurs été classé en réserve naturelle.
Stéphane Cugnier